Flûte, flûte et flûtes !

 

 

 

Ce fut le smoking qui me trompa et, pendant deux secondes, je ne le reconnu pas. Pour moi, ce n’était qu’un client éventuel, le premier à franchir ma porte en une semaine… et il avait fière allure.

Même en portant un smoking à dix heures moins le quart du matin, il avait fière allure. Quinze centimètres de poignet osseux et vingt-cinq centimètres de main noueuse dépassaient de sa manche ; le dessus de ses chaussures et le bas de son pantalon ne joignaient pas tout à fait leurs efforts ; pourtant, il avait fière allure.

Puis, j’ai regardé son visage, et ce n’était pas du tout un client. C’était mon oncle Otto. La beauté s’était envolée. Comme d’habitude, le visage de mon oncle Otto ressemblait à celui d’un chien de Saint-Hubert qui vient juste de se faire botter l’arrière-train par son meilleur ami.

Je n’eus pas une réaction très originale. Je dis : « Oncle Otto ! »

Vous l’auriez reconnu aussi, si vous aviez vu ce visage. Quand on publia son portrait sur la couverture de Time, il y a environ cinq ans (c’était en 57 ou en 58), 204 lecteurs au total écrivirent à la direction pour dire qu’ils n’oublieraient jamais ce visage. Certains ajoutèrent des commentaires sur les cauchemars. Si vous désirez connaître le nom complet d’Otto, c’est Otto Schlemmelmayer. Mais n’en tirez pas de conclusions hâtives. C’est le frère de ma mère. Personnellement, je m’appelle Smith.

Il dit : « Harry, mon petit », et il poussa un gémissement.

Intéressant, mais pas éclairant.

—  Pourquoi ce smoking ? demandai-je.

—  Je l’ai loué, dit-il.

—  D’accord. Mais pourquoi le portes-tu le matin ?

—  C’est déjà le matin ?

Il jeta un regard vague autour de lui, puis il se dirigea vers la fenêtre et regarda dehors.

C’est ça, mon oncle Otto Schlemmelmayer.

Je lui affirmai que c’était le matin et, en faisant un effort, il en déduisit qu’il avait dû marcher dans les rues de la ville pendant toute la nuit.

               II enleva une poignée de doigts de son front pour dire :

—  Mais j’étais si bouleversé, Harry. Au banquet...

Les doigts s’agitèrent pendant une minute puis se replièrent pour former un quart de poing qui s’abattit et fit voler en éclats le dessus de mon bureau.

—  Mais c’est fini. À partir de maintenant, je fais les choses à ma façon.

Mon oncle Otto disait cela depuis que l’affaire de l’« Effet Schlemmelmayer » avait démarré. Cela vous surprend peut-être. Peut-être pensez-vous que c’est l’Effet Schlemmelmayer qui a rendu mon oncle Otto célèbre. Ma foi, cela dépend de la façon dont on le considère.

Il découvrit l’effet en 1952, et il y a de fortes chances pour que vous en sachiez autant que moi sur le sujet. Bref, il inventa un relais de germanium de nature telle qu’il était sensible aux ondes télépathiques, ou, en tout cas, aux champs électromagnétiques des cellules du cerveau. II s’acharna pendant des années à construire un tel relais dans une  flûte, de façon qu’elle puisse jouer de la musique sous la pression de la seule pensée. C’était son amour, sa vie, cela allait révolutionner la musique. Tout le monde serait capable de jouer ; pas besoin de compétence technique  – la pensée suffisait.

Puis, il y a cinq ans, un jeune type de Consolidated Arms, Stephen Wheland, modifia l’Effet Schlemmelmayer et en renversa le processus. Il inventa un champ d’ondes supersoniques qui pourrait, en passant par un relais de germanium, activer le cerveau, l’électrocuter, et tuer un rat à six mètres. Un rat, mais aussi on le découvrit plus tard, des hommes.

Après cela, Wheland reçut une prime de dix mille dollars, et de l’avancement, tandis que les principaux actionnaires de Consolidated Arms se mirent à gagner des millions quand le gouvernement acheta les brevets et passa ses commandes.

 Mon oncle Otto ? Il eut droit à la couverture de Time.

Après cela, tous ceux qui étaient proches de lui, disons à quelques kilomètres, surent qu’il avait à se plaindre. Certains pensaient que c’était parce qu’il n’avait pas touché d’argent, d’autres, que, de sa grande découverte, on avait fait un instrument de guerre et de massacre.

Tu parles ! c’était sa flûte ! C’était vraiment le ressort déglingué dans le sommier de sa vie. Pauvre oncle Otto ! Il aimait sa flûte, il l’emportait partout avec lui, prêt à faire sa démonstration. Elle reposait dans son étui spécial sur le dossier de la chaise de l’onde quand il mangeait, et à la tête de son lit quand il dormait. Les matinées du dimanche dans les laboratoires de physique de l’université étaient devenues épouvantables à cause des sons émis par la flûte de mon oncle, laquelle, sous contrôle mental imparfait, se taillait un chemin dans quelque chant folklorique allemand larmoyant.

L’ennui, c’était qu’aucun industriel ne voulait s’y intéresser. Dès que fut révélée son existence, le syndicat des musiciens menaça de réduire au silence toutes les demi-croches du pays. Les diverses industries du spectacle attirèrent l’attention de leurs amis ayant quelque influence auprès des législateurs et les transformèrent en brigades d’intervention immédiate ; et le vieux Pietro Faranini lui-même mit sa baguette de chef d’orchestre sur son oreille et fit de ferventes déclarations à la presse sur la mort imminente de l’art.

L’oncle Otto ne s’en remit jamais.

Il disait : « Hier étaient mes derniers espoirs. Consolidated m’informe qu’on va en mon honneur un banquet donner. Qui sait, je me dis. Peut-être qu’ils ma flûte achèteront »

Sous l’effet de la tension nerveuse l’ordre des mots dans les phrases de mon oncle a tendance à glisser de l’anglais à l’allemand.

L’affaire m’intriguait,

—  En voilà une idée, dis-je. Un millier de flûtes géantes cachées dans des endroits clés en territoire ennemi claironnant des annonces publicitaires en chantant d’une voix juste assez dénuée d’intonation pour que…

—  Du calme ! Du calme !

Mon oncle Otto frappa mon bureau du plat de la main avec un bruit de coup de pistolet, et le calendrier en matière plastique en bondit de peur et tomba raide mort.

—  De ta part aussi des moqueries ? Où est ton respect ?

—  Excuse-moi, oncle Otto.

—  Alors, écoute. J’ai assisté au banquet, et ils ont fait des discours sur l’Effet Schlemmelmayer et sur la façon dont il mettait en valeur la puissance de l’esprit. Et alors quand je pensais qu’ils annonceraient qu’ils voulaient ma flûte acheter, ils m’ont donné ça !

Il sortit une chose qui ressemblait à une pièce d’or de deux mille dollars et me la lança. J’esquivai.

 

 

Si elle avait atteint la fenêtre, elle serait passée au travers et aurait défoncé le crâne d’un passant. Je la ramassai. Au poids, on pouvait dire que ce n’était que du plaqué. Sur une face, on lisait : « Récompense d’Elias Bancroft Sudford » en gros caractères, et « au Dr Otto Schlemmelmayer pour sa contribution à la science » en petits caractères. Sur l’autre face, il y avait un profil, évidemment pas celui de mon oncle. En fait, ça ne ressemblait pas à une quelconque race de chien, plutôt de cochon.

—  C’est, dit mon oncle, Elias Bancroft Sudford, président de la Consolidated Arms !

Il poursuivit :

—  Alors, quand j’ai vu que c’était tout, je me suis levé et très poliment j’ai dit : « Messieurs, écrasez-vous ! » et je suis sorti.

               —  Et tu as marché dans les rues toute la nuit, complétai-je pour lui, et tu es venu ici sans même t’être changé de vêtements. Tu es encore en smoking.

Mon onde Otto étendit un bras, et regarda ce qu’il y avait dessus.

—  Un smoking ? dit-il.

—  Un smoking, dis-je.

Ses longues et grosses joues se couvrirent de rougeurs, et il rugit :

—  Je viens ici pour quelque chose de toute première importance, et tu insistes pour de ne rien d’autre que des smokings parler. Mon propre neveu !

Je laissai passer l’orage. Mon oncle Otto est l’élément brillant de la famille et, sauf pour l’empêcher de tomber dans les égouts ou de passer par des fenêtres, nous, les idiots, nous évitons de l’agacer.

—  Et que puis-je faire pour toi, oncle ?

J’essayai de donner à ma question un petit air précis ; j’essayai de mettre nos relations sur le plan avocat-client.

Il attendit, solennel, et dit :

—  J’ai besoin d’argent.

II avait frappé à la mauvaise porte.

—  Oncle, dis-je, pour le moment je n’ai pas…

—  Je ne pensais pas à toi, dit-il.

               Je me sentis mieux.

—  Il y a, poursuivit-il, un nouvel Effet Schlemmelmayer ; un bien meilleur. Celui-là, dans les journaux scientifiques, je n’ai pas publié. Ma grande gueule fermée je garde. Entièrement à moi il est.

Tout en parlant, il dirigeait un orchestre fantôme de son poing osseux.

—  Avec ce nouvel effet, enchaîna-t-il, je ferai de l’argent et ma propre usine de flûtes ouvrirai.

—  Bien, dis-je, en pensant à l’usine et en mentant.

—  Mais je ne sais pas comment ?

—  Mauvais, dis-je en pensant à l’usine et en mentant.             

—  L’ennui, c’est que j’ai un esprit brillant. Je suis capable de concevoir des idées qui dépassent les gens ordinaires. Seulement, Harry, je ne suis pas capable de concevoir des moyens pour gagner de l’argent. C’est un talent que je n’ai pas.

—  Mauvais, dis-je, sans mentir le moins du monde.

—  Alors je suis venu te consulter comme avocat.

Je ricanai doucement d’un léger ricanement désapprobateur.

—  Je suis venu te voir, poursuivit-il, pour que tu m’aides avec ton cerveau d’avocat tortueux, menteur, sournois, malhonnête.

Je classai mentalement la remarque dans la rubrique des compliments inattendus, et je dis :

—  Je t’aime, aussi, oncle Otto.

Il devait avoir senti l’ironie car il devint rouge de colère et cria :

—  Ne sois pas susceptible. Sois comme moi, patient, compréhensif, coulant, lourdaud. Qui dit quelque chose de toi comme homme ? Comme homme, tu es un imbécile honnête, mais comme avocat, tu dois être un filou. Tout le monde sait ça.

Je soupirai. L’Association des avocats m’avait averti qu’il y aurait des jours comme ça.

—  Qu’est-ce que c’est ton nouvel effet, oncle Otto ? demandai-je.

—  Je peux remonter dans le temps, dit-il, et sortir des choses du passé.

J’agis rapidement. De la main gauche, je saisis ma montre dans la poche inférieure gauche de ma veste, la sortis et la consultai avec toute l’anxiété dont je pouvais faire preuve. De la main droite, je pris le téléphone.

—  Ma foi, oncle, dis-je chaleureusement, je viens de me souvenir d’un rendez-vous extrêmement important pour lequel j’ai déjà des heures de retard. Toujours heureux de te voir. Et maintenant, je crains de devoir te dire au revoir. Oui, monsieur, vous voir a été un plaisir, un véritable plaisir. Eh bien, au revoir. Oui, monsieur…

Je faillis décrocher le téléphone. Je m’arrêtais effectivement, mais la main de mon oncle était sur la mienne et appuyait. Il n’y eut pas de combat. Ai-je dit que mon oncle faisait jadis partie de l’équipe de lutte d’Heidelberg, en 1932 ?

Il saisit mon coude, doucement (pour lui) et je me trouvai debout. C’était une grande économie d’effort musculaire (pour moi).

—  A mon laboratoire, dit-il, allons.

Il, à son laboratoire, alla. Et comme je n’avais ni couteau ni désir de couper mon bras gauche à la hauteur de l’épaule, je, à son laboratoire, allai aussi...

 

 

Le laboratoire de mon oncle est au bout d’un couloir et en tournant le coin dans l’un des bâtiments de l’université. Depuis que l’Effet Schlemmelmayer est apparu comme quelque chose d’important, il a été dispensé de tous ses cours et laissé entièrement à lui-même. Son laboratoire s’en ressent.

—  Tu ne fermes plus la porte à clef ? dis-je.

II me regarda d’un air malicieux, son nez se plissa comme s’il reniflait.

—  Elle est fermée à clef. Avec un relais Schlemmelmayer, elle est fermée à clef. Je pense à un mot... et la porte s’ouvre. Sans cela, personne ne peut entrer. Pas même le recteur de l’université. Pas même le concierge.

J’étais un peu excité.

—  Bon Dieu, oncle Otto. Une serrure-pensée pourrait te rapporter...

—  Tiens ! Je vendrais le brevet pour que quelqu’un d’autre s’enrichisse ? Après la nuit dernière ? Jamais. Sous peu, je, moi-même, riche deviendrai.

Une chose à propos de mon oncle. Il n’est pas de ces types avec qui on doit discuter à l’infini avant de pouvoir arriver à les convaincre. On sait d’avance qu’il ne sera jamais convaincu.

Je changeai donc de sujet et dis :

—  Et la machine temporelle ?

Mon oncle a trente centimètres de plus que moi, il pèse quinze kilos de plus, et il est fort comme un bœuf. Quand il met ses mains autour de ma gorge et serre, mon rôle dans la lutte se réduit à peu de choses : je vire au violacé.

J’ai donc viré au violacé.

II a dit : « Chut ! »

J’ai pigé.

Il laissa tomber et dit :

—  Personne ne sait rien du projet X. II répéta, en insistant : Le projet X. Tu comprends ?

Je fis oui de la tête. De toute façon, je ne pouvais pas parler avec un larynx qui n’était qu’en voie de guérison.

—  Je ne te demande pas, dit-il, de me croire sur parole. Je vais une démonstration te faire.

J’essayais de rester près de la porte.

—  Est-ce que tu as, dit-il, un bout de papier avec ton écriture dessus ?

Je fouillai dans la poche intérieure de ma veste. J’avais des notes pour un dossier éventuel pour un client éventuel dans un prochain jour éventuel.

               Oncle Otto dit :

—  Ne me le montre pas. Déchire-le. En petits morceaux déchire-le, et dans ce vase les fragments mets.

Je le déchirai en cent vingt-huit morceaux.

Il les regarda d’un air pensif, et se mit à régler des boutons sur un, disons, sur une machine. Une plaque épaisse en verre opalin y était accrochée, et on aurait dit un porte-empreinte de dentiste.

II y eut un moment d’attente. Il continuait à faire ses réglages.

Puis il dit : « Aha ! » et j’émis une sorte de son bizarre qu’on ne peut transcrire sur le papier.

A environ cinq centimètres au-dessus de la plaque de verre, il y avait une chose qui ressemblait à un morceau de papier flou. La mise au point se fit pendant que je regardais et… oh ! ma foi ! pourquoi en faire toute une histoire ? C’étaient mes notes. Mon écriture. Parfaitement lisible, parfaitement authentique.

—  On peut le toucher ?

J’étais un peu enroué, en partie à cause de la surprise, en partie à cause des charmantes façons qu’avait mon oncle Otto d’imposer la discrétion.

—  C’est impossible, dit-il, et il passa la main au travers. Le papier demeura derrière, intact. Il ajouta : Ce n’est qu’une image à un seul foyer d’un paraboloïde à quatre dimensions. L’autre foyer est en un point du temps situé avant que tu déchires le papier.

Je passai à mon tour ma main au travers. Je ne sentis rien.

—  Maintenant, regarde bien, dit-il.

II tourna un bouton sur la machine, et l’image du papier disparut. Puis il sortit une pincée de papier du tas de petits morceaux, les jeta dans le cendrier et y mit une allumette. Il rinça le cendrier dans l’évier. Il tourna de nouveau un bouton, et le papier apparut, mais avec une différence. Il y manquait des bouts déchiquetés.

—  Les morceaux brûlés ? demandai-je.

—  Tout juste. La machine doit remonter dans le temps le long des hypervecteurs des molécules sur lesquelles elle est réglée, Si certaines molécules sont dans l’air dispersées », pffutt !

J’eus une idée.

—  Suppose que tu n’aies que les cendres d’un document.

—  On ne remonterait qu’à ces molécules.

—  Mais elles seraient si bien réparties, fis-je remarquer, que tu pourrais avoir une photo floue de tout le document.

—  Hum. Peut-être.

 

 

L’idée devenait plus excitante.

—  Mais, dis, écoute, oncle Otto. Sais-tu combien paieraient les services de police pour une machine comme celle-là. Ce serait un avantage pour le...

Je m’arrêtai. Je n’aimais pas la façon dont il se raidissait. Je dis, poliment :

—  Tu disais, oncle ?

Il était remarquablement calme. Il parla d’une voix qui dépassa rarement le cri.

—  Une bonne fois pour toutes, mon neveu. Toutes les inventions à partir de maintenant, je les moi-même exploiterai. D’abord, il me faut un capital initial obtenir. Capital de toute autre source que la vente de mes idées. Après cela, je pour mes flûtes une usine pour fabriquer ouvrirai. Cela vient en premier. Après, après, avec mes profits, je pourrai mes machines à vecteur temps fabriquer. Mais d’abord mes flûtes. Avant tout, mes flûtes. La nuit dernière, je l’ai juré.

«Par l’égoïsme de quelques-uns, le monde de la musique a été frustré. Mon nom dans l’histoire comme meurtrier passera-t-il ? L’Effet Schlemmelmayer un moyen pour électrocuter le cerveau des hommes sera-t-il ? Ou il de la belle musique à l’esprit apportera ? Grande, merveilleuse, durable musique ? »

II avait une main levée comme s’il exprimait un oracle et l’autre derrière son dos. Les fenêtres émettaient un ronflement strident comme si les mots les faisaient vibrer,

—  Oncle Otto, dis-je vivement, on va t’entendre.

—  Alors, cesse de crier, répondit-il.

—  Mais, écoute, protestai-je, comment prévois-tu d’obtenir ton capital initial, si tu n’exploites pas cet appareil.

—  Je ne t’ai pas dit. Je peux obtenir une image réelle. Et si l’image a de la valeur ?

Cela avait l’air bien.

—  Tu veux dire… un document perdu, un manuscrit, une édition originale disparus… des choses comme ça ?

—  Ma foi, non. Il y a un ennui. Deux ennuis. Trois ennuis.

J’attendis qu’il s’arrêtât de compter, mais trois parut être le maximum.

—  Quels sont-ils ? demandai-je.

—  D’abord, dit-il, il faut que j’aie l’objet dans le présent pour me régler dessus ou alors je ne peux pas en trouver la source dans le passé »

—  Tu veux dire que tu ne peux pas obtenir quelque chose qui n’existe pas là où tu peux le voir ?

—  Oui.

—  Dans ce cas, les ennuis deux et trois sont purement académiques. Mais quels sont-ils, de toute façon ?

—  Je ne peux retirer qu’un gramme environ de matière du passé.

Un gramme !

—  Qu’est-ce qui se passe ? Pas assez de puissance ?

—  C’est un rapport exponentiel inverse, dit avec impatience mon oncle Otto. Toute la puissance de l’univers plus de deux grammes peut-être ne pourrait apporter.

Cela demeurait encore fumeux. Je dis :

—  Le troisième ennui ?

—  Ma foi. Il hésita : plus les deux foyers séparés sont, plus souple le lien. Il faut une certaine distance avant que dans le présent on puisse l’amener. En d’autres termes, je dois au moins cent cinquante ans dans le passé aller.

—  Je vois, dis-je (non que je visse vraiment). Récapitulons.

J’essayai de prendre l’air d’un avocat.

—  Tu veux ramener quelque chose dû passé, duquel tu puisses tirer un petit capital. Ça doit être quelque chose qui existe et que tu peux voir. Ça ne peut donc pas être un objet perdu ayant une valeur historique ou archéologique. Ça doit peser moins d’un gramme. Ça ne peut donc pas être le diamant Kullinan ou quelque chose comme ça. Ça doit être vieux d’au moins, cent cinquante ans. Ça ne peut donc pas, être un timbre rare.

—  Exactement, dit mon oncle Otto. Tu as saisi.

—  J’ai saisi quoi ? Je réfléchis deux secondes. Je ne saurais penser à la moindre chose, dis-je. Eh bien, au revoir, oncle Otto.

Je ne pensais pas que cela marcherait, mais je fis une tentative de départ.

Ça ne marcha pas. Les mains de mon oncle Otto, s’abattirent sur mes épaules, et je me retrouvai sur la pointe des pieds au-dessus de quelques centimètres d’air.

—  Tu vas chiffonner ma veste, oncle Otto.

—  Harold, dit-il, en tant qu’avocat vis-à-vis d’un client, tu me dois plus qu’un rapide au revoir.

—  Je n’ai pas pris d’avance sur honoraires, réussis-je à dire dans un gargouillis. Mon col de chemise commençait à me serrer sérieusement le cou. J’essayai de déglutir, et le bouton du haut partit comme un coup de fouet.

—  Entre parents, une avance sur honoraires est une formalité, lança-t-il. En tant que client et en tant qu’oncle, tu me dois une loyauté absolue. Et en plus, si tu ne m’aides pas à m’en sortir, je t’attacherai les jambes autour du cou et je te dribblerai comme un ballon de basketball.

Ma foi, en tant qu’avocat, je suis toujours sensible à la logique.

—  J’abandonne. Je me rends. Tu as gagné, dis-je.

Il me laissa tomber.

Et puis –  c’est la chose qui me semble la plus invraisemblable quand je repense à tout cela  –, j’eus une idée.

J’eus une idée formidable. Une idée extraordinaire. Celle que tout le monde a une fois dans sa vie.

Je n’ai pas tout dit à mon oncle sur le moment. Je me suis donné quelques jours pour y réfléchir. Mais je lui ai dit ce qu’il devait faire. Je lui ai dit qu’il devrait aller à Washington. Ce ne fut pas facile de le persuader, mais, d’un autre côté, si on connaît mon oncle Otto, il y a des moyens.

Je trouvai deux billets de dix dollars qui se cachaient misérablement dans mon portefeuille, et je les lui donnai.

—  Je vais te faire un chèque pour payer le voyage en train, et tu pourras garder les deux billets s’il se révèle que je n’ai pas été honnête avec toi.

Il réfléchit, puis il reconnut :

—  Assez idiot pour risquer vingt dollars pour rien tu n’es pas.

Il avait bien raison…

Il était de retour deux jours plus tard et déclara que la chose était réglée. Après tout, c’était exposé en public. C’était dans une boîte hermétique remplie d’azote, mais mon oncle Otto dit que ça n’avait pas d’importance. Et là-bas dans le laboratoire, à six cents kilomètres de là, la mise au point demeurerait précise. Mon oncle Otto me l’assura, également.

               —  Deux choses, dis-je, oncle Otto, avant que nous fassions quoi que ce soit.

—  Quoi ? Quoi ? Quoi ? Il poursuivit en allant un peu plus loin : Quoi ? Quoi ? Quoi ? Quoi ?

J’en déduisis qu’il devenait nerveux.

—  Es-tu sûr, dis-je, que si nous ramenons dans le présent un morceau de quelque chose sorti du passé, ce morceau ne disparaîtra pas de l’objet tel qu’il existe maintenant ?

Mon oncle Otto fit claquer ses gros doigts et dit :

—  Nous créons une matière nouvelle, nous ne volons pas l’ancienne. Pourquoi donc d’une énorme énergie besoin aurions-nous ?

Je passai au second point.

—  Et, en ce qui concerne mes honoraires ?

Il vous est loisible de ne pas le croire, mais je n’avais pas encore parlé argent jusque-là. Mon onde Otto non plus, mais alors, voici le résultat.

Sa bouche s’étira en une mauvaise imitation d’un affectueux sourire.

—  Des honoraires ?

—  Dix pour cent de ce que ça rapportera, expliquai-je, c’est ce que je demanderai.

Il s’en décrocha la mâchoire.

—  Mais combien est-ce que ça rapportera ?

—  Peut-être cent mille dollars. Ça t’en laisserait quatre-vingt-dix.

—  Quatre-vingt-dix mille... Bon Dieu ! mais qu’est-ce qu’on attend ?

Il bondit sur sa machine et, en une demi-minute, l’espace au-dessus du porte-empreinte de dentiste fut illuminé par l’image d’un parchemin.

Il était couvert d’une écriture nette, régulièrement espacée, qui ressemblait à une fiche pour un prix de calligraphie du bon vieux temps. Au bas de la feuille, il y avait des noms : un grand, et cinquante-cinq petits.

Drôle de chose ! Je restais sans voix. J’en avais vu bien des reproductions, mais c’était la pièce authentique » La vraie Déclaration d’Indépendance !

—  Bon Dieu ! dis-je. Tu y es arrivé.

—  Et les cent mille ? demanda mon oncle qui en venait au fait.

Il était maintenant temps de donner des explications.

—  Tu vois, oncle Otto, au bas du document, il y a des Signatures. Ce sont les noms de grands Américains, les pères de notre pays, que nous révérons tous. Tout ce qui les concerne a de l’intérêt pour les véritables Américains.

—  D’accord, grommela mon oncle Otto, Je vais l’accompagner en jouant Stars and Stripes Forever sur ma flûte.

J’eus un petit rire bref pour montrer que je prenais cette remarque pour une plaisanterie. La prendre pour autre chose qu’une plaisanterie était impensable. Avez-vous jamais entendu mon oncle jouer le Stars and Stripes Forever sur sa flûte ?

—  Un de ces signataires, dis-je, celui qui venait de l’État de Géorgie, est mort en 1777, un an après avoir signé la déclaration. Il n’a pas laissé grand-chose derrière lui et, donc, des spécimens authentiques de sa signature sont parmi les choses qui ont le plus de valeur au monde. Il s’appelait Button Gwinnett.

—  Et comment cela nous permet-il de toucher de l’argent ? demanda mon oncle Otto dont l’esprit demeurait sinistrement attaché aux éternelles vérités de l’univers.

—  Nous avons là, dis-je, en toute simplicité, une signature authentique, véritable, de Button Gwinnett, sur la Déclaration d’Indépendance.

Mon oncle Otto en resta muet de stupeur, et pour que mon oncle Otto soit muet, il faut vraiment qu’il soit frappé de stupeur !

—  Or, dis-je, tu le vois là sur l’extrême gauche de l’espace réservé aux signatures, avec les deux autres signataires de Géorgie, Lyman Hall et George Walton. Tu remarqueras que leurs noms sont serrés les uns contre les autres, si bien qu’il y a beaucoup de place au-dessus et en dessous. En fait, le G majuscule de Gwinnett descend pour rentrer pratiquement dans le nom de Hall. Alors, nous allons essayer de les séparer. Nous les aurons tous. Est-ce que tu peux y arriver ?

Avez-vous jamais vu un chien de Saint-Hubert qui a l’air heureux ? Eh bien, mon oncle Otto y parvint.

Une tache de lumière plus vive se concentra sur les noms des trois signataires géorgiens.

Mon oncle Otto dit, un peu haletant :

—  Je n’ai jamais essayé ça avant.

—  Quoi ! criai-je. C’était maintenant qu’il me le disait !

—  Ça aurait demandé trop d’énergie. Je ne voulais pas que l’université se demande ce qui se passait ici. Ne t’inquiète pas. Mes mathématiques ne peuvent se tromper.

Je priai en silence pour que ses mathématiques ne puissent se tromper.

La lumière devint plus vive et il y eut un bourdonnement qui emplit l’air d’un bruit rauque. Mon oncle Otto tourna un bouton, puis en autre, puis un troisième.

Vous souvenez-vous du jour il y a quelques semaines, où tout le Upper Manhattan et le Bronx furent privés d’électricité pendant douze heures à cause de ce fichu disjoncteur de surcharge à la centrale électrique principale ? Je ne dirai pas que c’est nous qui en avons été la cause parce que je n’ai pas envie d’être poursuivi en dommages-intérêts. Mais je vous dirai ceci : l’électricité a été coupée quand mon oncle Otto a tourné le troisième bouton.

À l’intérieur du labo, toutes les lumières s’éteignirent et je me retrouvai par terre, avec un terrible tintement dans les oreilles. Mon oncle Otto était étalé en travers de mon corps.

Nous nous sommes aidés mutuellement pour nous relever et mon oncle Otto a trouvé une lampe électrique.

Mon oncle a poussé un hurlement déchirant.

—  Sauté, Sauté. Ma machine bousillée est. Elle était à la destruction vouée.

—  Mais les signatures ? lui criai-je. Est-ce que tu les as ?

Il s’arrêta au beau milieu de son cri.

—  Je n’ai pas regardé.

Il regarda, et je fermai les yeux. La disparition de cent mille dollars n’est pas une chose facile à envisager,

II cria : « Ah, ah ! » et j’ouvris les yeux rapidement. Il tenait dans la main un carré de parchemin de cinq centimètres de côté. Le fragment portait trois signatures, et  celle du dessus était celle de Button Gwinnett.

Maintenant, faites attention, la signature était, absolument authentique. Ce n’était pas un faux. Il n’y avait pas un atome de fraude dans toute la transaction. Je tiens à ce qu’on comprenne bien. Posée sur la large main de mon oncle Otto, se trouvait une signature écrite de la main géorgienne de Button Gwinnett lui-même sur le parchemin authentique de la sincère et véritable Déclaration d’Indépendance.

 

Il fut décidé que mon oncle Otto irait à Washington avec le morceau de parchemin. Je n’étais pas l’homme qu’il fallait dans cette affaire. J’étais avocat. On aurait pu penser que j’en savais trop. Il n’était, lui, qu’un génie scientifique et on pensait qu’il ne savait rien. En outre, qui pourrait suspecter le Dr Otto Schlemmelmayer de quoi que ce soit d’autre que de l’honnêteté la plus transparente.

Nous avons passé une semaine à mettre au point notre histoire. J’avais acheté un livre pour la circonstance, une vieille histoire de la Géorgie coloniale, dans une boutique d’occasions. Mon oncle Otto devait l’emporter et prétendre qu’il avait trouvé un document inséré entre deux pages, une lettre au Continental Congress au nom de l’État de Géorgie. Cela lui avait fait hausser les épaules et il l’avait mis au-dessus d’un bec Bunsen. Pourquoi un physicien s’intéresserait-il à des lettres ? Puis il se rendit compte de l’odeur particulière qu’il dégageait en brûlant et de la lenteur de la combustion. Il éteignit les flammes, mais il ne sauva que le morceau avec les signatures. Il le regarda et le nom de Button Gwinnett attisa vaguement un souvenir.

Il avait bien pigé ce qu’il devait faire. Je brûlai le bord du parchemin afin que le nom du bas, celui de George Walton, fût légèrement roussi.

—  Ça rendra la chose plus réaliste, dis-je. Bien sûr, une signature, sans lettre au-dessus, perd de sa valeur, mais là nous avons trois signatures, tous signataires.

Mon oncle était pensif.

—  Et si on compare les signatures avec celles qui sont sur la Déclaration et si on remarque qu’elles sont toutes exactement semblables, même au microscope, ne va-t-on pas la fraude suspecter ?

—  Certainement. Mais que peut-on faire ? Le parchemin est authentique. L’encre est authentique. Les signatures sont authentiques. Ils devront l’admettre. Qu’importe qu’ils soupçonnent quelque chose de bizarre, ils ne peuvent rien prouver. Peuvent-ils imaginer de traverser le temps pour ça. En fait, j’espère qu’ils essaieront vraiment d’en faire toute une histoire. La publicité fera monter le prix.

La dernière phrase fit rire mon oncle.

Le lendemain, il prit le train pour Washington, avec des visions de flûtes dans la tête. Des flûtes longues, des flûtes courtes, des flûtes trémolos, des macro-flûtes, des micro-flûtes, des flûtes pour solistes et des flûtes pour orchestre. Un univers de flûtes pour musique tirée de l’esprit.

—  Souviens-toi que la machine je n’ai pas d’argent pour reconstruire. Ça doit marcher.

Tels furent ses derniers mots, et je répondis :

—  Oncle Otto, ça ne peut pas rater.

Ha !

 

 

II fut de retour une semaine plus tard. J’avais passé des coups de téléphone à longue distance tous les jours, et, tous les jours, il me disait qu’ils faisaient une enquête.

Une enquête.

Ma foi, pourquoi ne feraient-ils pas une enquête ? Mais à quoi cela leur servirait-il ?

Je suis allé l’attendre à la gare. Son visage était sans expression. Je n’osais pas l’interroger en public. J’aurais voulu lui dire : « Alors, oui ou non ? », mais je pensai, laissons-le parler de lui-même.

Je l’emmenai à mon bureau. Je lui offris un cigare et quelque chose à boire. Je cachai mes mains sous le bureau, mais cela suffît pour le faire trembler aussi. Alors je les mis dans ma poche et je mis à trembler de partout.

—  Ils ont fait une enquête, dit-il.

—  Naturellement. Je t’ai dit qu’on en ferait une. Ha, ha, ha ! Ha, Ha ?

Mon oncle Otto tira lentement sur son cigare.

—  L’homme du Bureau des documents, dit-il, est venu me voir et m’a dit : « Professeur Schlemmelmayer, vous avez été victime d’un charlatan très habile. » J’ai répondu : « Quoi ? Et comment se peut-il que ce soit une supercherie ? La signature une contrefaçon est-elle ? » Et il a répondu : « Cela n’a pas l’air d’une contrefaçon, mais ça l’est forcément ! Et pourquoi l’est-ce forcément ? » ai-je demandé.

Mon oncle Otto posa son cigare, posa son verre, et se pencha vers moi par-dessus le bureau. Comme il m’avait tenu en haleine, je me penchai vers lui et, ainsi, d’une certaine façon, j’ai mérité tout ce qui m’est arrivé.

—  Exactement, murmurai-je, pourquoi est-ce forcément ? On ne peut pas prouver que quelque chose ne va pas, puisque c’est authentique. Alors pourquoi est-ce une supercherie, hein ? Pourquoi ?

La voix de mon oncle Otto avait la douceur de la saccharine.

—  Nous avons tiré le parchemin du passé ? dit-il.

—  Oui. Oui. Tu le sais bien.

—  Vraiment du passé.

—  De plus de cent cinquante ans dans le passé. Tu as dit...

—  Et il y a cent cinquante ans, le parchemin sur lequel la Déclaration d’Indépendance était écrite tout à fait neuf était. Non ?

Je commençais à comprendre, mais pas assez vite. La voix de mon oncle Otto changea de registre et devint un rugissement sourd, lancinant.            

—  Et si Button Gwinnett en 1777 est mort, espèce de pauvre idiot abandonné de Dieu, comment une signature authentique de lui sur un morceau de parchemin neuf peut-on trouver ?

Après cela, le monde entier s’est mis à avancer et à reculer à toute vitesse autour de moi.

J’espère être sur pied bientôt. Je suis encore malade, mais les médecins me disent que je n’ai pas de fractures.

Pourtant, mon oncle Otto n’aurait pas dû me faire avaler ce fichu parchemin.

 

 

Si j’avais espéré être reconnu comme un maître de l’humour grâce à ces nouvelles, je pense que j’ai raté mon coup.

L. Sprague de Camp, un des auteurs les plus célèbres de science-fiction et de fantastique humoristique, dit ceci sur moi, dans son Science Fiction Handbook (Hermitage House, 1953) qui, comme vous le voyez, parut peu après ces (à mon avis) incursions réussies dans l’humour :

« Asimov est un homme assez corpulent, paraissant assez jeune, aux cheveux bruns ondulés, aux yeux bleus, un homme jovial, bouillonnant, plein de vie, estimé de ses amis pour la nature généreuse, chaleureuse. Extrêmement sociable, beau parleur et spirituel, c’est un parfait président dans un banquet. Cette veine d’humour verbal contraste avec la sobriété de ses nouvelles. »

La sobriété !

D’un autre côté, douze ans plus tard, Groff Conklin mit Flûte, flûte et flûtes ! dans son anthologie 13 Above the Night (Dell, 1965) et écrivit, entre autres choses : « Quand le bon docteur… décide de prendre un jour de liberté et d’être drôle, il peut en vérité être très drôle… »

Or, bien que Groff et Sprague aient été tous deux pour moi des amis très chers (Groff est mort, aujourd’hui, hélas), il est incontestable que, dans ce cas particulier, je pense que Groff fait preuve de bon goût et que Sprague est battu à plates coutures.

Incidemment, avant de poursuivre il serait préférable que j’explique la curieuse appréciation de Sprague selon laquelle je serais une « nature généreuse, chaleureuse », et qui pourrait troubler ceux qui me considèrent comme une brute corrompue, pourrie.

Le préjugé favorable qu’a Sprague à mon égard est, me semble-t-il, entièrement fondé sur un simple incident.

Cela se passait en 1942, alors que Sprague et moi travaillions au Philadelphia Navy Yard. C’était la guerre, et on avait besoin d’un insigne pour rentrer. Celui qui oubliait son insigne devait affronter la bureaucratie pendant une heure pour en obtenir un provisoire ; on lui retenait une journée de salaire ; et ce crime odieux figurait dans son dossier.

Comme nous nous dirigions vers la porte, ce jour là, Sprague passa par toutes les nuances du vert et dit : « J’ai oublié mon insigne ! » II postulait pour être nommé lieutenant dans la marine, et il avait peur qu’une tache, même légère, sur son dossier civil pût empêcher toute l’affaire de se faire.

Ma foi, je ne postulais pour rien du tout, et j’étais tellement habitué à être envoyé au bureau du directeur pendant mes études que me faire engueuler par les autorités ne m’effrayait pas.

Je lui tendis donc mon insigne et lui dis : « Vas-y, Sprague, et mets celui-là sur ton revers. On n’ira jamais y regarder de près. » II rentra, et on ne lui demanda rien. Je signalai que j’avais oublié mon insigne et je me fis engueuler.

Sprague ne l’a jamais oublié. Depuis ce jour, il dit à qui veut l’entendre que je suis un type formidable, bien que tout le monde le dévisage avec incrédulité. Cette unique impulsion a fait naître une vie entière de fervente propagande pro-Asimov. Jette ton pain sur la surface des eaux...

Mais, poursuivons.